A l’ère des fake news et des modifications en tous genres de contenus, ère où tout le monde se sert du travail des autres et s’approprie la paternité de tout ce qui plaît, il est des règles intangibles qui peuvent surprendre.
Selon Bruce Schneier, un célèbre spécialiste en sécurité informatique, le courriel génère de nombreuses craintes, notamment au sein des entreprises, car il équivaut psychologiquement à un conversation, alors que légalement il s’agit d’un écrit qui emporte la preuve de ce qu’il formalise.
Dans ce contexte, une décision du Tribunal fédéral mérite notre attention.
Notre Haute Cour a eu à connaître d’une affaire où un aigrefin avait emprunté près de 6 millions de francs à des amis, des proches et des collègues de travail en occultant le fait qu’il se trouvait dans une situation financière obérée. Il avait prétendu être sur le point de recevoir 20 millions de francs dans le cadre d’un contrat pétrolier avec le Nigéria.
Dans le but d’amadouer ses créanciers, il avait procédé à des modifications du contenu de courriels reçus de tierces personnes et les avait adressés à ses créanciers. L’affaire avait pris une tournure pénale quand, lassés des dires du bonimenteur, ces derniers avaient saisi la justice.
Après une condamnation pour escroquerie et faux dans les titres prononcée par le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne à 4 ans et demi de prison, le malfaiteur avait jugé opportun de contester la qualification juridique des faits devant le Tribunal fédéral. Son argument était simple : les courriels ne comportaient pas de signature électronique et il ne pouvait donc y avoir de faux dans les titres.
Dans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral écarte définitivement cet argument et rétorque qu’un simple courriel falsifié peut tout à fait justifier une condamnation pénale pour faux dans les titres. Il retient que l’identité de l’expéditeur d’un courriel est clairement reconnaissable et ressort aussi du contenu du message. Celui-ci peut dès lors avoir une valeur probante. De plus, l’envoi de courriels est aujourd’hui très répandu dans les usages commerciaux.
Il s’agit d’une décision qui sanctionne, indirectement, l’usurpation d’identité, délit inconnu en droit suisse contrairement à la majeure partie des pays voisins. Le Tribunal fédéral a ainsi comblé, partiellement, une lacune dans la cuirasse pénale, ce qui est salutaire.
Arrêt non publié du Tribunal fédéral 6B_130/2012 du 22 octobre 2012.