Le rapport de Transparency International
Corruption Perceptions Index (CPI), tel est le nom du rapport de Transparency International consacré, annuellement, à la corruption dans le secteur public. Et la Suisse n’a pas progressé en cette matière depuis un an. Elle figure certes au 7ème rang mondial, mais regresse et présente de graves déficiences dans des domaines liés à la corruption qui ne sont pas représentés dans le CPI.
Martin Hilti, directeur de Transparency Suisse résume la situation en ces termes: «En ce qui concerne la lutte contre la corruption dans le secteur public, la Suisse s’éloigne des meilleurs scores possibles, comme elle l’avait déjà fait lors de l’année précédente. Il faut dès lors mettre un terme au népotisme, une pratique qui reste très répandue, et améliorer la façon d’aborder les conflits d’intérêts ainsi que la réglementation du lobbying. Il conviendrait en outre de garantir la transparence du financement de la vie politique à l’échelon cantonal et communal, car la majorité des cantons et des communes n’ont toujours pas légiféré dans ce domaine. De nettes améliorations sont cependant aussi nécessaires dans des domaines qui ne sont même pas représentés dans le CPI, comme en particulier la lutte contre la corruption dans le secteur privé et la punissabilité des entreprises, la lutte contre le blanchiment d’argent et la protection des lanceurs-euses d’alerte.»
La page informative relative à la Suisse peut être consultée ici.
Voici un article écrit par votre serviteur, en 2021, pour une revue spécialisée, qui aborde l’une des thématiques qui pose des problèmes conséquents.
Blanchiment d’argent dans le secteur public
Les faits
Tout débute le 27 avril 2021, date d’anniversaire de votre serviteur. Pour célébrer le passage du demi-siècle quelques excès sont ordinairement tolérés. Dont l’achat d’une voiture, plus rapide, plus racée, plus exclusive. La livraison devait avoir lieu le jour du jubilé. C’est alors que le collaborateur du garage m’appelle : Monsieur vous devez venir payer le changement de véhicule auprès du Service automobile. Soit.
J’interromps donc ce que je fais et je me rends dans les locaux dudit service à Sion. Alors que le montant à payer m’est communiqué, je demande alors au jeune collaborateur qui me fait face, où je peux payer avec ma carte. Il me répond avec assurance : nulle part, ici nous n’acceptons que les versements en espèces ! Le temps presse, les bureaux sont sur le point de fermer et je dois absolument avoir honoré le montant en souffrance pour pouvoir recevoir ma voiture. Je me rends alors au premier distributeur automatique venu et je retire la somme, le tout aussi vite que possible. Lors de mon retour au guichet, j’interroge le jeune collaborateur en ces termes : quels sont les montants maximaux que vous recevez à votre guichet en une journée ? Il me répond sereinement qu’il a déjà encaissé plusieurs dizaines de milliers de francs. Constatant que je suis interloqué, il tente de me rassurer en ajoutant que les sommes d’argent sont bien protégées. Là n’est toutefois pas le sens de mon questionnement.
Quelques jours plus tard, je communique mon étonnement à l’un des collaborateurs du Département des finances. Celui-ci n’est pas le moins du monde surpris. Il surenchérit même en me disant que nombre de citoyens viennent payer leurs impôts en liquide au guichet, même des magistrats. Parfois, certes rarement, ce sont des sommes de plusieurs dizaines de milliers de francs qui sont ainsi versées, sans qu’aucun contrôle ne soit opéré.
Comment cela est-il possible alors que dans notre quotidien nous faisons tous les jours face à des conséquences pratiques inhérentes à la lutte contre le blanchiment d’argent ? Le secteur public est-il dépourvu de moyens pour tolérer ainsi ce qui dans le domaine bancaire serait une véritable hérésie ? Bribes d’explications.
Les explications
La première réponse qu’il est possible d’apporter figure dans l’une des nombreuses circulaires de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) : Les actes étatiques, dès lors qu’ils relèvent de la souveraineté de l’État, ne sont en principe pas soumis à la loi fédérale sur le blanchiment d’argent [1], même si l’activité concernée constitue en soi une activité d’intermédiaire financier (Circ.-FINMA 2011/1 « Activité d’intermédiaire financier au sens de la LBA », chiffre marginal 133, § VII/Actes étatiques [2] ; cette circulaire est disponible ici.
En revanche si l’État intervient en dehors de son domaine de souveraineté, la LBA s’applique.
Vous conviendrez que la distinction n’est guère aisée. C’est la raison pour laquelle la FINMA a tenté de l’expliciter. Le critère principal est l’existence d’un contrat. L’État ne peut être soumis à la LBA que s’il conclut des contrats dans le cadre de l’activité exercée en dehors de son domaine de souveraineté. Peu importe à cet égard la nature du contrat, soit qu’il s’agisse de contrats de droit privé ou de droit administratif. Tout comme la forme organisationnelle de l’entité concernée est indifférente. Il peut conséquemment s’agir de structures privées en charge de missions de service public, de par la loi, un acte de puissance public ou encore un contrat de droit administratif.
Il apparaît donc clairement qu’une analyse doit intervenir au cas par cas. Cette analyse indicielle peut selon la FINMA (§ 137 à 140) être entreprise à l’aune des éléments suivants :
- Une autorité ou une organisation s’est vu confier ou autoriser l’activité d’intermédiaire financier sur la base d’un texte légal explicite, d’un acte de puissance publique ou d’un contrat de droit administratif. Il convient alors de vérifier au cas par cas si les échelons réglementaires et les conditions de délégation ont été respectés.
- En cas de manque de coopération, l’autorité ou l’organisation autorisée à exercer l’activité d’intermédiaire financier pourrait prendre par décision les mesures qui s’imposent. En dépit du contrat, il y a donc une relation de subordination entre l’autorité ou l’organisation et son cocontractant.
- L’activité d’intermédiaire financier menée par une autorité ou une organisation permet d’accomplir une mission relevant de sa compétence ou est étroitement liée à une telle mission.
- L’autorité ou l’organisation qui effectue l’acte étatique est subordonnée à une autre autorité pour ce qui concerne la vérification des comptes.
Quelques exemples sont cités par l’autorité de régulation :
Les offices de poursuite et de faillite, l’administration spéciale de la faillite (art. 241 de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP ; RS 281.1), ainsi que les liquidateurs au sens de la LP (art. 317 ss) ne sont pas soumis à la LBA. C’est aussi le cas en règle générale pour des organes chargés de la liquidation de la succession (art. 516 CC), les curatelles (art. 393 ss CC) ou les mandataires pour cause d’inaptitude (art. 360 ss CC). Les administrateurs d’office de la succession (art. 554 CC) et les exécuteurs testamentaires (art. 517 s. CC) ne sont pas non plus soumis à la LBA, à moins qu’ils ne fournissent des prestations d’intermédiaire financier extérieures à leur mandat, par exemple en participant à un partage successoral.
Conclusions
L’exercice est à l’évidence complexe et périlleux, ce qui signifie qu’il n’est pas à la portée du béotien. On peut de surcroît s’étonner de la faille béante dans la lutte contre le blanchiment matérialisée par l’exemple précité. Il serait ainsi possible de blanchir des dizaines de milliers de francs sans aucune difficulté, ni contrôle, ni traçabilité, alors même que la plus petite banque de ce pays croule sous les tâches en ces matières, et ce quotidiennement ?
[1] Soit la loi fédérale Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme du 10 octobre 1997 (RS 955.0 ; abrégée ci-après LBA)
[2] Cette circulaire entrée en vigueur le 1er janvier 2011 vise à préciser l’Ordonnance sur le blanchiment d’argent (OBA), laquelle s’intitule désormais l’Ordonnance sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (RS 955.01) ; elle peut être consultée à cette adresse.
Money laundering in the public sector
It all starts on 27 April 2021, the birthday of yours truly. To celebrate the passing of the half-century some excesses are usually tolerated. One of them is the purchase of a faster, sleeker, more exclusive car. The delivery was to take place on the day of the jubilee. Then the garage employee called me: « Mr Fanti, you have to come and pay for the change of car at the car service. So be it.
So, I interrupted what I was doing and went to the offices of the department in Sion. As the amount to be paid is communicated to me, I ask the young employee in front of me where I can pay with my card. He answers me with assurance: nowhere, here we only accept cash payments! Time is running out, the offices are about to close and I absolutely must have paid the outstanding amount to be able to receive my car. So, I go to the first ATM that comes along and withdraw the money, all as quickly as possible. When I return to the counter, I ask the young employee: what are the maximum amounts you receive at your counter in a day? He calmly replied that he had already collected several tens of thousands of francs. Seeing that I am taken aback, he tries to reassure me by adding that the money is well protected. However, this was not the point of my questioning.
A few days later, I communicated my astonishment to one of the employees of the Finance Department. He was not in the least surprised. He even went so far as to tell me that many citizens pay their taxes in cash at the counter, even magistrates. Sometimes, though rarely, tens of thousands of francs are paid in this way, without any control being carried out.
How is this possible when in our daily lives we are confronted with the practical consequences inherent in the fight against money laundering? Does the public sector lack the means to tolerate what in the banking sector would be a real heresy? Here are some explanations.
The first answer that can be given is contained in one of the many circulars issued by the Swiss Financial Market Supervisory Authority (FINMA; https://www.finma.ch/fr/): State acts, as long as they fall within the sovereignty of the State, are in principle not subject to the Federal Act on Money Laundering [1], even if the activity in question is in itself a financial intermediary activity (Circ. FINMA 2011/1 « Financial intermediary activity within the meaning of the AMLA », marginal number 133, § VII/State actions [2]; this circular is available at https://www.finma.ch/fr/~/media/finma/dokumente/dokumentencenter/myfinma/rundschreiben/finma-rs-2011-01-01-2017.pdf?la=en).
However, if the State intervenes outside its area of sovereignty, the AMLA applies.
You will agree that the distinction is not easy. That is why FINMA has tried to make it clear. The main criterion is the existence of a contract. The state can only be subject to the AMLA if it concludes contracts in the context of the activity carried out outside its area of sovereignty. It is irrelevant in this respect whether the contract is a contract under private or administrative law. Nor does it matter what organisational form the entity concerned takes. Consequently, it may be a question of private structures in charge of public service missions, by law, an act of public authority or a contract under administrative law.
It is therefore clear that an analysis must be made on a case-by-case basis. According to FINMA (§ 137 to 140), this index analysis can be undertaken based on the following elements
- An authority or organization has been entrusted with or authorized to act as a financial intermediary on the basis of an explicit legal text, an act of public authority or a contract under administrative law. It should then be checked on a case-by-case basis whether the regulatory levels and conditions of delegation have been respected.
- If there is a lack of cooperation, the authority or organization authorized to carry out the activity of financial intermediary may take appropriate measures by decision. Despite the contract, there is therefore a subordinate relationship between the authority or organization and its co-contractor.
- The financial intermediary activity carried out by an authority or organization enables the fulfilment of a task within its competence or is closely linked to such a task.
- The authority or organization carrying out the state act is subordinate to another authority as regards the auditing of accounts.
Some examples are given by the regulator:
The debt enforcement and bankruptcy offices, the special bankruptcy administration (Art. 241 of the Debt Enforcement and Bankruptcy Act (DEBA; SR 281.1), as well as the liquidators within the meaning of the DEBA (Art. 317 ff.) are not subject to the AMLA. This is also generally the case for bodies responsible for the liquidation of the estate (Art. 516 of the Swiss Civil Code), guardianships (Art. 393 ff SCC) or mandators for incapacity (Art. 360 ff SCC). Ex officio administrators of the estate (Art. 554 SCC) and executors of wills (Art. 517 ff. SCC) are also not subject to the AMLA, unless they provide financial intermediary services outside their mandate, for example by participating in the distribution of the estate.
The exercise is obviously complex and perilous, which means that it is not within the reach of the layperson. Moreover, the gaping loophole in the fight against money laundering illustrated by the above example is surprising. It would thus be possible to launder tens of thousands of francs without any difficulty, control or traceability, even though the smallest bank in this country is overwhelmed with tasks in these matters on a daily basis?
[1] The Federal Act on Combating Money Laundering and Terrorist Financing of 10 October 1997 (RS 955.0; Anti-Money Laundering Act, hereinafter abbreviated as AMLA) ; this circular, which came into force on 1 January 2011, is intended to clarify the Money Laundering Ordinance (MLO), which is now called the Ordinance on Combating Money Laundering and the Financing of Terrorism (SR 955.01); it can be consulted at this address.
[2] The purpose of this circular, which came into force on 1 January 2011, is to clarify the Anti-Money Laundering Ordinance (MLO), which is now called the Ordinance on Combating Money Laundering and Terrorist Financing (SR 955.01); it can be consulted at this address.