Samedi 6 avril 2019
Tom Shark est tranquillement installé sur son canapé et il surfe sur les sites des différents partis politiques suisses. Les verts, soit le parti écologique, sont omniprésents depuis leurs récentes victoires lors d’élections locales. Ils ont le vent en poupe et peuvent espérer doubler leur représentation au parlement fédéral, grâce à une prise de conscience inédite et une mobilisation citoyenne en faveur du climat. Tous les autres partis craignant d’être considérés comme inadéquats dans leurs prises de position en cette matière multiplient opportunément les initiatives en faveur du climat. Tom vient d’assister à une conférence du fondateur et directeur du site Mediapart, Edwy Plenel, le pourfendeur des inégalités et Hérault de la transparence. Il médite sur la notion de démocratie de basse intensité qui est chère à Plenel, soit celle qui permet la survenance d’accidents politiques graves. C’est alors qu’il reçoit un courriel de l’un des grands partis politiques lui suggérant de lire attentivement sa récente prise de position. Tom a constaté que depuis sa récente inscription à la newsletter de ce parti, il est régulièrement incommodé par des publicités sur les réseaux sociaux et des appels téléphoniques. Cette réitération de prises de contact a le don de l’exaspérer et il songe sérieusement à se désinscrire, voire à demande le blocage des données. Dans les faits, ce parti a identifié Tom comme étant susceptible de soutenir ses positions : indépendant, argenté, père d’une nombreuse famille, attaché la liberté… Grâce au logiciel utilisé lors des dernières campagnes présidentielles américaines, son profil a été mis en exergue et il est devenu une cible prioritaire de ce parti.
Samedi 6 avril 2027
Tom Shark s’installe tranquillement sur son canapé, lorsqu’il reçoit un appel d’un numéro qu’il connaît bien, celui de la police. L’officier lui demande alors pour quels motifs il a participé ce jour à la conférence d’Edwy Plenel trotskiste et contestataire inscrit sur la liste internationale des électrons libres (liberal thinkers) nécessitant une surveillance constante des gouvernants en raison de leur défaut d’affiliation à un parti politique reconnu. Alors qu’il interroge l’officier sur le fait de savoir comment la police a pu déterminer sa présence, il lui est répondu qu’un drone a filmé les personnes qui se rendaient à l’Aula du Collège de la Planta et que la reconnaissance faciale a fait le reste. Tom ressent un léger picotement dans son dos. Il se sait désormais relié à Edwy Plenel dans toutes les bases de données internationales depuis l’adoption des normes Schengen-Dublin-Washington-Pékin-Moscou-Brasilia. Concrètement cela signifie qu’à l’instar de l’orateur du jour, il va devoir justifier de tous ses faits et gestes. Le Gouvernement dispose en effet d’un outil redoutable intitulé citizencheck qui lui permet dans le cadre de chaque interaction avec ses citoyens de vérifier que ceux-ci sont respectueux de l’ensemble des normes. En cas d’infraction le citoyen est rétrogradé en deuxième classe ce qui signifie qu’il est privé du droit de voyage, du droit d’adopter, du droit d’être élu ou encore de celui de voter. Seule une action exceptionnelle lui permettra de retrouver ce statut. Seule la fuite dans un pays non-signataire de ces accords lui permettra de retrouver paix et quiétude. Or, ils deviennent de moins en nombreux, car de facto exclus des accords commerciaux.
Le conflit entre démocratie et dictature est un conflit entre deux systèmes de traitement de données disait l’historien Yuval Harari. Il nous incombe de générer les garde-fous nécessaires à éviter de tronquer la libre volonté des citoyens et à empêcher l’intelligence artificielle d’être utilisée par les puissants pour consolider leur pouvoir sans même évoquer la possibilité pour l’IA de devenir elle-même la dictatrice des peuples.