La Préposée fribourgeoise à la transparence aura décidément dû consacrer une grande énergie à la thématique des éoliennes et de la transparence qui semble générer des querelles infinies.
Ad memoriam, voici les recommandations rendues en cette matière :
- Recommandation du 17 juin 2022 (accès à des documents en lien avec des éoliennes ; la préposée recommande au Service de l’énergie d’octroyer l’accès aux documents clairement déterminés en lien avec les éoliennes, de récupérer les rapports d’identification manquants et de remettre les documents qui peuvent être identifiés sans charge de travail disproportionnée).
- Recommandation du 29 avril 2021 (accès à des documents en lien avec des éoliennes ; si les documents demandés ne peuvent pas être trouvés dans l’administration de la commune, la préposée recommande à la commune de vérifier encore une fois où les documents pourraient se trouver et le cas échéant, de demander à des tiers de les lui transmettre.)
En voici un nouvel exemple avec une recommandation du 26 janvier 2022. La préposée recommande d’octroyer l’accès à une convention selon laquelle une participation est réglée dans les projets éoliens du massif du Gibloux et de la côte du Glaney. Brève analyse de cette décision.
- La requête formulée par une association portait sur: « la convention en vertu de laquelle Groupe E Greenwatt SA et SIG ont prévu que ces derniers pourraient prendre une possible participation maximale de 33% dans les projets du
« Massif du Gibloux » et de « Côte du Glaney », inscrits au plan directeur cantonal, pour autant que ces projets voient le jour et soient développés par Groupe E Greenwatt ». - Groupe E SA s’est déterminée en refusant l’accès au document sollicité au motif que « Groupe E Greenwatt n’est pas soumise à la LInf puisqu’elle n’accomplit pas de tâche publique » et que « la LInf ne s’applique pas aux activités économiques exercées en situation de concurrence, telles que le développement de parcs éoliens ».
- Pendant la séance de médiation, la requérante a transmis deux extraits de PowerPoint datés du 4 février 2016 et du 11 janvier 2017 de Groupe E Greenwatt SA (Développement éolien potentiel en « Glâne-Sud &Veveyse » et Développement éolien à Vuisternens-dt-Romont : potentiels et collaboration) à la préposée, que cette dernière a transmis à Groupe E SA par courriel le 23 janvier 2023. Dans ce document, obtenu à travers une demande d’accès, Groupe E Greenwatt SA indique entre autres qu’il « n’y a dès lors plus de concurrence entre développeurs éoliens sur sol fribourgeois ».
- La préposée expose, liminairement, dans sa recommandation, que deux documents lui ont été transmis par Groupe E Greenwatt SA, à savoir le contrat de droit d’options et le protocole d’accord y relatif. Ces deux documents sont en possession de Groupe E SA et d’une de ses filiales, Groupe E Greenwatt SA. Ses actionnaires sont Groupe E SA à 90% et le Canton de Neuchâtel à 10%. Groupe E Greenwat SA est donc dominée par Groupe E SA, qui en détermine la politique commerciale.
- Il s’agit de documents officiels puisqu’ils concernent l’accomplissement d’une tâche publique et qu’ils ont atteint leur stade définitif d’élaboration (ils sont signés et approuvés).
- Ils concernent l’exploitation de l’énergie éolienne et contiennent dès lors des informations sur l’état de l’environnement tels que l’air, le paysage et les sites naturels entre autres. Ils entrent également dans la catégorie d’informations sur l’environnement au sens de l’article 2 chiffre 3 de la Convention du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus). Sur le principe, l’accès doit donc être accordé.
- La préposée examine ensuite si Groupe E SA doit être qualifié d’autorité soumise aux normes en matière de transparence. Dès lors que l’Etat de Fribourg détient 80.291 % des actions et que cette société accomplit une tâche de droit public dans le domaine de l’approvisionnement en électricité en situation de monopole légal, la réponse est affirmative. Un autre motif justifie de qualifier l’entreprise d’autorité: il s’agit du fait qu’elle a la compétence de rendre des décisions administratives, notamment en tant que pouvoir adjudicateur dans des procédures de droit des marchés publics.
- S’agissant de l’exception de « secret d’affaires » invoquée par Groupe E SA, la préposée relève qu’aucune motivation topique n’est invoquée. Il s’agit d’arguments généraux. Rappelons que la preuve de la réalisation des conditions d’une exception incombe à la partie qui l’invoque. De surcroît, les documents concernent le domaine de l’énergie renouvelable dans le cadre de l’exercice d’une tâche publique. Si Groupe E SA est d’un avis contraire, il devra déterminer très précisément desquels il s’agit, et pour quelles raisons ils constitueraient des secrets d’affaire (ou d’autres intérêts publics ou privés prépondérants).
- Le contrat auquel l’accès est sollicité contient une clause de confidentialité, clause selon laquelle le contrat pourra notamment être divulgué si la loi le prévoit. Selon le droit fribourgeois, l’accès à un document peut être restreint, différé ou refusé, entre autres, s’il divulguerait des informations fournies librement par un tiers à un organe public qui en a garanti le secret. La question est donc de savoir si cette clause fait échec ou non à la transparence.
- Le Tribunal fédéral a précisé la portée de cette exception par trois conditions cumulatives : 1) il faut que les informations aient été fournies par une personne privée (et non pas par une autre autorité), ce qui se justifie dans la mesure où les autorités sont, contrairement aux privés, soumises au principe de la transparence 2) les informations doivent avoir été fournies librement, c’est-à-dire avoir été produites sans contrainte, soit en l’absence d’une obligation légale ou contractuelle ; cela signifie que la personne qui les a transmises n’était pas juridiquement tenue de le faire (par exemple un dénonciateur) 3) il faut qu’il y ait eu de la part de l’organe public une garantie du secret ; la garantie de confidentialité doit avoir été donnée expressément par l’administration à la demande explicite de l’informateur.
- Dans le cas d’espèce, la première des trois conditions n’est pas remplie, puisque la clause de confidentialité a été convenue avec une autre autorité, à savoir les Services Industriels de Genève (SIG), établissement de droit public genevois soumis à la transparence. La préposée est, partant, d’avis que ni la clause de confidentialité, ni la garantie de confidentialité ne peuvent être invoquées pour ne pas octroyer l’accès aux documents.
- Elle recommande donc que l’accès aux documents sollicités, cas échéant après avoir consulté les intéressés ou les personnes au sujet de leurs éventuels intérêts publics ou privés prépondérants.
L’issue de la procédure était prévisible et elle s’avère logique. Les autorités appréhendent les procédures en matière de transparence avec l’impression qu’il leur suffit d’alléguer ne pas être soumises à la loi, respectivement d’invoquer différentes exceptions. Or, la jurisprudence est désormais très riche et il ne suffit pas de rendre vraisemblables ses arguments. Il convient de les démontrer.