En cette période de fièvre ante carême-prenant, il paraît utile et opportun de rappeler les règles qui prévalent s’agissant de la satire et de l’humour.
La satire et la CEDH
Direction Strasbourg, avec une affaire portugaise qui a été tranchée par la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH 20 octobre 2009, n° 41665:07, Alves Da Silva:Portugal).
En 2004, dans la petite ville portugaise de Mortagua, un joyeux drille réalise un guignol grandeur nature en plâtre, dont les similitudes avec le président de la ville étaient notoires. Après avoir monté le guignol sur sa camionnette, il ajouta un écriteau muni d’une anagramme du nom de famille du président, ainsi qu’un sac bleu (symbole de la corruption au Portugal). Le déplaisir de l’édile fut tel qu’il porta plainte pour diffamation. Le plaisantin fut condamné à une amende de 1400 euros, sanction confirmée par toutes les juridictions successives portugaises.
Il saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme. Les magistrats européens ont alors démontré leur sens d’humour. Compte tenu du fait que le condamné avait exhibé le guignol représentant le maire durant le carnaval, il a été considéré que les accusations émises pouvaient difficilement être prises à la lettre. Le maire doit, de surcroît, en sa qualité d’homme politique, faire preuve d’une plus grande tolérance à l’égard de la critique exprimée comme en l’espèce sous forme de satire. Le plaisantin fut donc acquitté.
Le Tribunal de Sion et ses considérants carnavalesques
Plus proche de nous, le Tribunal de Sion a, par la plume de son Doyen d’alors, émis ces considérants dans une affaire divisant un journal satirique et une personnalité valaisanne.
Certains auteurs constatent l’existence d’un droit coutumier à l’atteinte à l’honneur à titre carnavalesque ou simplement satirique et reconnaissent un intérêt général légitime au divertissement public, notamment par des manifestations satiriques, à des occasions comme Carnaval. Moyennant une pesée des intérêts et des valeurs en présence, une atteinte à l’honneur peut être admise comme moyen de satisfaire licitement ce droit au divertissement. Dans le même sens, l’intérêt légitime du public à l’humour et à la satire peut également être pris en considération pour accorder une plus grande tolérance aux caricatures, billets humoristiques et journaux de Carnaval.
Le Tribunal fédéral avait lui aussi consacré le principe d’un intérêt légitime à l’humour, susceptible d’être mis en balance avec les droits du lésé. Ainsi, à condition de ne pas dépasser certaines limites à fixer de cas en cas selon les circonstances et les intérêts en présence, la satire jouit-elle du droit de cité, non seulement la blague innocente, mais aussi le brocard féroce.
Dût-elle parfois blesser, la satire qui n’est pas méchanceté gratuite joue un rôle de soupape et de piment dont la vie en société ne peut se passer, et elle règne plus particulièrement à des périodes comme Carnaval où la grisaille quotidienne connaît une parenthèse de bonne humeur. Le rire, geste social, poursuit un but utile de perfectionnement général. Il est avant tout une correction par laquelle la société se venge des libertés qu’on a prises avec elle et n’atteindrait pas son but s’il portait la marque de la sympathie et de la bonté. Il ne peut pas être absolument juste ni ne doit non plus être bon. Il souligne utilement la forme des ondulations produites en surface par les perturbations de la vie sociale et pétille comme l’écume des vagues (Revue valaisanne de jurisprudence, RVJ 1984, p. 231, consid. 2b et les références citées).
Le Carnaval est donc l’occasion d’une liberté d’expression exacerbée.
Et comme il faut savoir rire de tout et surtout de soi-même, voici la récente parution du Journal de Carnaval consacré à votre serviteur:
Cette rubrique a été écrite en hommage à Pascal Thurre qui n’a jamais craint de déplaire à quelques-uns pour susciter l’hilarité du plus grand nombre.
Notre conseil :
Voici quelques ressources supplémentaires :
Le Centre interfédéral pour l’égalité des chances de Belgique a émis un avis très intéressant en relation avec cette thématique, avis intitulé Le carnaval et les limites à la liberté d’expression.
Un article intéressant d’Assista est consacré à la question suivante: « La norme pénale antiraciste s’applique-t-elle aussi à carnaval ?« .
L’affaire Arnaud Bédat contre le journal satirique le « To’Porren ». Le journal de carnaval a été récemment condamné pour diffamation. Cette affaire est toutefois susceptible d’appel. L’analyse du Professeur Bertil Cottier, Professeur honoraire de droit des médias à l’Université de Lausanne.
Un arrêt jurassien en cette matière.