Je ne peux pas supporter d’entendre ce mot droit de visite.
C’est un devoir de visite que le parent discontinu doit remplir.
Françoise Dolto, Quand les parents se séparent (1988)
En cette période singulière, où chacun d’entre nous n’est plus réellement totalement maître de son destin, il est un sujet qui mérite une attention particulière, en tant qu’il constitue désormais une nouvelle source de conflits et implique les enfants: le droit de visite.
Comme le relevait avec pertinence Laure Lugon dans son article « La double peine des parents non gardiens pendant l’épidémie » dans les séparations conflictuelles, il était à prévoir que ce virus serait une nouvelle arme entre les belligérants. Or, faire la guerre dans un tel contexte n’est pas sans risque et l’instrumentalisation supplémentaire risque, à brève échéance, de se retourner contre son auteur. Petit tour d’horizon des différentes situations qui peuvent se présenter.
S’agissant d’un droit de visite « classique » (ordinairement un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires), le Conseil fédéral s’est indirectement exprimé dans l’ordonnance 2 du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ordonnance 2 COVID-19). Il a indiqué au chapitre 3 (mesures visant la population, les organisations et les institutions) à l’article 5 (écoles, hautes écoles et autres établissements de formation) ce qui changeait relativement aux enfants. Je vous concède qu’à la lecture de cet article il est difficile d’y déceler une quelconque référence à l’exercice du droit de visite. Comme souvent depuis le début de la pandémie, c’est dans le rapport explicatif que se trouve la solution à une question implicitement résolue par le texte légal. Cela est certes regrettable, mais compréhensible à l’aune de la situation extraordinaire que nous vivons.
Le « Rapport explicatif concernant l’ordonnance 2 du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ordonnance 2
COVID-19), version du 3 avril 2020 -État au 8 avril 2020, 17 h 00″ indique ceci relativement à cette thématique:
« Par ailleurs, l’ordonnance ne comprend pas de dispositions spécifiques concernant le droit de visite lorsque les parents sont divorcés ou séparés. Il n’y a pas de restrictions, si ce n’est celles qui découlent des règles générales d’hygiène et de distance ainsi que des prescriptions en matière d’auto-isolement et de quarantaine. Il faut décider au cas par cas si l’on est en présence de raisons empêchant provisoirement l’exercice du droit de visite. La situation actuelle ne saurait être un prétexte général pour refuser ce droit à l’autre parent. Du point de vue de l’ordonnance 2 COVID-19, le droit de visite peut être exercé, dans le respect des règles d’hygiène, en l’absence d’une raison spécifique comme la quarantaine, où il faut partir du principe que les règles d’hygiène usuelles ne suffisent pas à protéger la santé. »
Précisons, s’agissant de la quarantaine, qu’elle intervient en raison d’un contact avec une personne dont le test s’est avéré positif (Circulaire OFAS sur l’allocation pour perte de gain en cas de mesures destinées à lutter contre le coronavirus – Corona-perte de gain (CCPG) (état au 17 mars 2020), N 1035). La mise en quarantaine doit être justifiée au moyen d’un certificat médical ou d’un ordre officiel émanant d’une autorité (idem).
Il apparaît ainsi clairement que refuser au parent non-gardien l’exercice de son droit de visite au seul motif de la pandémie est contraire à la loi. Exiger de l’autre parent qu’il produise un test négatif constitue logiquement une atteinte à ses droits et ne saurait être acceptable.
La situation est plus délicate lorsque le droit de visite s’exerce par l’intermédiaire d’organismes dédiés (comme un Point Rencontre). L’exercice dépend alors du fonctionnement de l’organisme et force est malheureusement de constater que leur fermeture est la règle. Le Conseil fédéral s’est abstenu d’aborder cette thématique et il conviendrait de l’inciter à le faire rapidement, ce d’autant que les règles fixées par l’OFSP semblent pouvoir être respectées. A défaut, les enfants risquent de devenir les victimes collatérales et silencieuses de cette pandémie.
Certains d’entre vous m’objecteront probablement que la technologie actuelle permet de maintenir le lien, notamment par le biais de vidéoconférences. C’est exact, lorsque le dialogue entre les parents est encore possible et s’avère non-conflictuel. Les professionnels de l’enfance sont toutefois opposés au recours à cette technologie lorsque les relations sont tendues, au motif qu’ils ne peuvent intervenir en cas de dérapage de l’un des parents lors de la vidéoconférence.
Il convient à cet égard de relever que le Conseil fédéral a, dans sa dernière ordonnance (Ordonnance du 16 avril 2020 instaurant des mesures en lien avec le coronavirus dans le domaine de la justice et du droit procédural), prohibé le recours à la vidéoconférence pour l’audition des enfants lors de procédures de droit matrimonial. Selon le Conseil fédéral: « L’audition d’un enfant par téléconférence ou vidéoconférence n’entre pas en ligne de compte, car le risque qu’il soit influencé ou mis en danger est trop grand; dans ce cas de figure, il y aura toujours de justes motifs qui s’opposeront à ce type d’audition. » (Commentaire, p. 5). Ces remarques valent mutatis mutandis pour le recours à la vidéoconférence qui présente des risques importants d’instrumentalisation ou de mise en danger.